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Annie Ernaux, un Nobel pas comme les autres

De Thomas Chouanière • janvier 05, 2025Sélections & décryptages

L’information a fait le tour du monde en quelques minutes : Annie Ernaux a reçu le prix Nobel de littérature 2022. Une récompense qui couronne une autrice vraiment à part, à la fois par son style, ses sujets, son engagement de tous les instants. Voici quelques suggestions de lecture pour mieux découvrir et connaître cette plume si particulière.

Annie Ernaux, par où commencer ?

C’est autant le livre d’une époque que d’une nouvelle génération : La Place permit à Annie Ernaux de connaître un succès retentissant, et aux lecteurs de se familiariser avec son style. Dans ce récit autobiographique, elle resitue la vie de son père, fils de métayer devenu ouvrier en Normandie. Surtout, à travers le passé de cet homme né avant-guerre, puis ses propres souvenirs, l’autrice relate ce paradoxe des Trente Glorieuses qui a vu les jeunes générations accéder à un meilleur capital culturel (et souvent économique) que leurs parents. D’où une difficulté de dialogue et une rupture entre un père et une fille à lire dans ce récit bouleversant, écrit dans un style neutre, comme dégagé du moindre sentiment esthétique. En se livrant ainsi à l’exercice d’une « ethnographie de ses propres origines », selon la formule de Dominique Viart, Annie Ernaux devint l’une des artisanes de « l’autofiction », terme inventé à l’époque pour désigner les livres de Serge Doubrovsky, dans lesquels forme fictionnelle et fond autobiographique se mêlent.

Annie Ernaux, de grands sujets littéraires

La place de la mère

Peu après La Place, Annie Ernaux dédiait, cette fois, son procédé littéraire, mélangeant souvenirs familiaux et impressions intimes au présent, à sa mère. Une femme revient sur la terrible agonie de ce personnage avec laquelle l’autrice perçoit une distance et une proximité. Même si le style paraît encore une fois « plat », c’est en réalité la virtuosité langagière qui anime l’écrivaine, en parvenant, en très peu de mots, à dépeindre une réalité psychologique ou sociologique. Une place prépondérante est enfin faite, dans ce récit, à la volonté d’ascension sociale, thème majeur de l’œuvre de la Nobel 2022.

L’amour clandestin

À dix années d’écart, Annie Ernaux a raconté la même relation amoureuse avec un homme marié, ambassadeur soviétique, dont l’autrice attendait les appels de manière obsessionnelle. Passion simple, premier livre tiré de cette idylle, dit la violence d’un sentiment basé plus encore sur l’absence que sur la présence de l’être aimé. Le deuxième, Se perdre, retranscrit des passages du journal que tenait Annie Ernaux à l’époque même de ses cinq à sept clandestins. Il s’avère beaucoup plus impudique et clinique, dégagé de toute charge émotionnelle, mettant à nu crûment la réalité d’un amour étrange et extraordinaire, au sens premier du terme.

La vie des autres

Dans deux ouvrages, Journal du dehors et Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux a dévolu sa plume clinique à la retranscription du réel extérieur. Le premier livre relate ainsi des fragments de temps, capté ici sur le siège d’un R.E.R., là sur le parking d’un supermarché, ailleurs dans la rue de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. C’est dans ces endroits banals qu’elle saisit des scènes, des dialogues incongrus, la vie même, parfois des paroles plus politiques, racontant ainsi quantité de micro-histoires. Vingt ans après, elle s’installait comme romancière de l’hypermarché moderne à travers Regarde les lumières mon amour, chronique de douze mois de visite entre les rayons de son Leclerc habituel. D’un si mince sujet littéraire, elle tirait un grand patchwork d’émotions et de sensations, comme si, là encore, elle parvenait à saisir dans un lieu banal, fonctionnel, une certaine réalité de nos êtres.

Plus vaste encore est le portrait qu’elle dessine d’une génération dans Les Années, qui se veut une autobiographie collective. Avec comme point de départ une série de photos d’Annie Ernaux à différents moments de sa vie, ce récit suit l’évolution de la France et de ses habitants, capturés dans autant de scènes d’une mémoire décidément riche en événements marquants et édifiants.

La fille, la femme

L’engagement d’Annie Ernaux se manifeste très souvent, de nos jours, à travers ses prises de position antiracistes et antifascistes. Mais c’est aussi le féminisme, et le récit au féminin, qui ont fait beaucoup pour sa notoriété littéraire et sa pertinence actuelle. Ainsi, dès son premier roman Les Armoires vides, elle évoquait une réalité connue des seules femmes, à savoir l’avortement, clandestin en l’occurrence. Un thème qu’elle reprenait dans le sombre L’Événement, adapté au cinéma en 2021 par un long-métrage couronné d’un Lion d’or au Festival de Venise. Dans La Femme gelée, mais aussi La Honte, c’est son éducation religieuse, adressée à une femme en devenir, qu’elle réussissait à brillamment exposer, sans tomber dans le pathos ou le militantisme extrême. À la fois témoin et actrice de sa propre vie, et vivant une période de bouleversements sociétaux intenses, Annie Ernaux a su décrire cette transition avec une virtuosité qui ne pouvait que séduire l’Académie Nobel, et faire de l’autrice la première Française à recevoir le prestigieux prix littéraire !

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